Cette lettre, publiée dans les pages du quotidien Le Devoir le 5 août 2013, présente une réflexion très intéressante sur l’importance de la période de francisation et d’adaptation culturelle pour les nouveaux arrivants. Marie-Andrée Provencher est enseignante en francisation d’adultes.
Lettre – L’effet pervers d’être francophone pour un immigrant
5 août 2013 | Marie-Andrée Provencher, enseignante en francisation d’adultes – Le 31 juillet 2013 | Actualités en société
La nouvelle grille d’évaluation pour effectuer la sélection des immigrants au Québec vient d’entrer en vigueur : le stade intermédiaire avancé (niveau 7 sur une échelle de 12) deviendra le seuil minimal à partir duquel des points seront attribués pour la connaissance du français. Ce seront seulement des immigrants francisés ou francophones qui viendront au Québec.
Mais voici l’effet pervers et inattendu du fait d’être francophone ou francisé à l’arrivée pour un immigrant présentant un grand fossé culturel.
Le taux de chômage atteint au moins 30 % chez les nouveaux arrivants maghrébins – et plus chez d’autres Africains – qui sont francophones. De plus, chez les 70 % qui ont obtenu un emploi, un grand nombre ne travaillent pas dans leur domaine. L’une des raisons – mais pas la seule – à ce chômage accru chez les immigrants francophones est qu’ils ne bénéficient pas de stages en centres de francisation, où les enseignants sont des interprètes culturels. En effet, la maîtrise des codes culturels des Québécois est nécessaire pour obtenir un emploi. Or, le français appris dans un autre contexte culturel n’assure pas du tout des relations interpersonnelles efficaces.
Comparons avec l’immigrant non francophone. À son arrivée dans un centre de francisation où il côtoie des nouveaux arrivants de tous les continents, il éprouve un grand choc culturel extrêmement bénéfique : il découvre que presque tous les usages sont culturels – et non naturels – puisqu’ils diffèrent tellement ! Grâce à cette prise de conscience, voulant évidemment s’intégrer au Québec pour atteindre ses objectifs, il se met à observer ses enseignants et ses nouveaux concitoyens pour découvrir comment adapter ses façons pour être accepté socialement par eux.
Alors que le non-francophone bénéficie de cette période de francisation et d’adaptation culturelle (avec une allocation de survie), le « déjà francisé » est plus ou moins laissé à lui-même. C’est un cercle qui peut se révéler vicieux : à cause d’un manque d’adaptation sociale, il ne parvient pas à décrocher un premier emploi. Parce qu’il ne parvient pas à travailler, il est probable qu’il fréquentera surtout ses compatriotes, surtout ceux qui, comme lui, n’ont pas d’emploi : leurs difficultés communes risquent de les mener à l’amertume…
Alors qu’on a toujours soutenu que l’intégration sociale passait par l’emploi, on a découvert que l’obtention d’un emploi exige un certain degré d’intégration sociale.